Actualité du Lux, la lettre d'info d'Hubert Charbit
Survivance des lucioles, (e)mergences

Ce message s'adresse prioritairement, pas exclusivement, aux collègues d'Arts Plastiques et de Philosophie. Il concerne deux manifestations au LUX en mars : une exposition, Survivance des lucioles, et la première édition de rencontres qui se produiront tous les ans sous le titre (e)mergences. L'une et l'autre sont susceptibles de vous intéresser, soit personnellement soit au plan pédagogique.

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Survivance des lucioles est une exposition monographique d'un jeune artiste, Laurent Pernot, dont l’œuvre, que je découvre, m'est apparue très sensible, - ce pour quoi je vous en parle. Son efficacité esthétique semble d'abord tenir à certaines préoccupations récurrentes de l'artiste, - et peut-être de tout art - et au caractère de méditation douce et mélancolique que ces préoccupations induisent.
J'en isolerais deux : d'une part la fascination pour le caractère fondamentalement évanescent de toute apparition, d'autre part l'identité indécise des visages et des scènes dont il ne nous reste que la trace. On identifie vite, en parcourant ces oeuvres, qu'elles tentent sans cesse, avec obstination, de cerner ce double mystère : celui du surgissement de la présence comme de son évanouissement et de sa réminiscence.

Je m'arrête sur une des œuvres, et me tais sur les autres.

L'Ubiquité, tel est son titre, est un dispositif très simple, très économique par ses moyens : l'artiste a simplement superposé, en les projetant au mur, un portrait photographique du visage de sa mère à ceux de sa grand-mère et de son arrière grand-mère. L'air de famille aidant, les trois images se fondent en un visage unique qui peine cependant à exister : sa présence reste incertaine, dans les limbes, aux confins de la vie et de la mort, de l'être et du néant. L'effet est indéniablement esthétique, mais sans doute plutôt une esthétique du Sublime que du Beau au sens où le plaisir est ici assez proche de celui des songes et de l'angoisse qui s'y joue.

En voyant l’œuvre, j'ai songé pour ma part à celle de Christian Boltanski devant laquelle je conduirai mes élèves dans quelques jours au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme à Paris, et à ces murs du Mémorial de la Shoah où sont gravés les noms des quelques 75 000 juifs de France dont il ne reste d'autre trace que celle-là. Il s'agit de ce genre de traces qui maintiennent une présence contre les forces obscures qui ont tenté de les anéantir : un rayon de lumière qui maintient encore à l'Etre. De Christian Boltanski à Laurent Pernot, il y a à mon sens une filiation possible. Mais je ne doute pas que Survivance des lucioles ouvre plusieurs autres voies de réflexion à engager avec nos élèves.

Je vous en laisse juges.


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J'en viens donc à mon second objet :

(e)mergences est conçu comme un moment de réflexion, trois journées consacrées aux « images émergentes de la culture numérique ». Moment de réflexion, mais aussi de rencontre de certaines oeuvres que ce champ produit, et enfin d'expérimentations pratiques offertes au public sous la forme d'ateliers (sur inscription).

Qu'il y ait une « culture numérique » peut rendre certains dubitatifs. La « culture numérique » n'est-elle pas justement une sous-culture impliquant des pratiques aliénantes dont une structure comme le LUX, tournée par vocation vers l'Art et la Culture, n'aurait précisément pas à s'occuper ? Ce serait tourner un peu vite le dos à la réalité d'une évolution de nos pratiques qui, de fait, induisent des mutations peut-être profondes 1/ de la conception même de ce que sont la création artistique et sa réception, 2/ de la manière dont le savoir se constitue aujourd'hui, 3/ de façon plus générale, de la manière dont les sujets se forment, - ce qu'on appelle parfois le processus de subjectivisation -.

Il est donc essentiel d'aller y voir et de penser ce qui s'y joue, sans que ça implique aucun abandon aux séductions faciles du nouveau pour le nouveau. (e)mergences est justement une occasion, - nous en avons peu de ce genre -, de substituer à la frivolité de ces séductions un peu de pensée.

Sans entrer dans le détail de la programmation que j'attache en pièce jointe, quelques éléments seulement sur les lignes directrices de cette première session :

La journée du 11 mars sera assez largement consacrée aux nouveaux modes d'appropriation des savoirs et des textes et au rôle que jouent dans ces nouvelles manières de comprendre, de voir et de lire, les langages de programmation et le design graphique qui les structure.

La journée du 12 intéressera plus directement les Arts Plastiques, et notamment le devenir des œuvres d'art à une époque où les images ne restent plus confinées, ni bien sûr dans l'espace clos du tableau, ni dans les limites étroites d'un écran lumineux mais tentent de pénétrer dans notre espace réel pour le peupler de leurs spectres.

La journée du 13 enfin, sera sans doute la plus cinématographique de toutes puisque c'est à cette pratique devenue si quotidienne du film tourné au téléphone portable qu'elle sera vouée : se joue-t-il là quelque chose de nouveau dans l'histoire du cinéma entendu comme art ? La modification de nos manières de faire et de regarder des images en mouvement peut-elle laisser indemne notre concept de la Culture et de l'Art ?

Il ne semble pas qu'un enseignant, en tant que vecteur de culture, pourra éviter longtemps de se confronter à ces questions.

J'ajoute avant de clore, que Laura Locatelli, au Lux, accueille enseignants et classes pour des visites guidées de l'exposition de Laurent Pernot les mardi après-midi et que vous pouvez la contacter pour cela au 04 75 82 44 15, laura.locatelli@lux-valence.com. L'exposition de Laurent Pernot court jusqu'au 2 avril.

Cordialement,
Hubert Charbit.
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